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Le pape devenu adepte de la non-violence !

Le message du pape pour la 50e journée de la paix, publié le 12 décembre dernier, marque un tournant dans le discours de l’Église. Le pape se dit adepte de la non-violence active !

[Réflexion de Bruno Eliat]
On vient de loin. Il y a 50 ans, l'objection de conscience était condamnée par le clergé. Le Concile avait une seule fois mentionné la non-violence, comme une concession. Le catéchisme de l’Église catholique justifie encore la peine de mort et la légitime défense violente sans même évoquer l'idée de légitime défense non-violente . La guerre juste aussi est encore justifiée, renommée « légitime défense par des forces militaires » . Aucune citation biblique pour ces points-là. Le terme « non-violence » a été soigneusement évité. Ajoutons enfin que dans des déclarations de conférences épiscopales, celle de France notamment , la possession d'armes nucléaires fut justifiée avec conviction.

50 ans plus tard, renversement de situation. Le pape non seulement utilise abondamment le concept de non-violence, mais il invite tous les chrétiens à faire de la non-violence active un « style de vie ». Pour lui, « être aujourd'hui de vrais disciples de Jésus signifie également adhérer à sa proposition de non-violence » ou encore : « L'amour de l'ennemi constitue le noyau de la 'révolution chrétienne' ». Et de préciser : L'amour de l'ennemi, c'est la non-violence. Voilà que le cœur du christianisme est présenté comme un message de non-violence, même la mort de Jésus sur la croix. Dans la foulée le pape condamne fermement la possession d'armes nucléaires. François a compris que la non-violence ne se limite pas à la négociation. Il précise qu'elle n'est absolument pas la passivité et la faiblesse, au contraire, évoquant les luttes de Gandhi, Martin Luther King et autres. Le pape parle de la puissance, des résultats impressionnants de la non-violence.

Il propose la non-violence comme « style de vie ». Il est passé ainsi d'une conception utilitariste à une vision existentielle de la non-violence. Difficile d'encore justifier la violence…
La Syrie, il y pense visiblement. On imagine les discussions entre cardinaux, avec ceux qui soutiennent mordicus la guerre (contre l’État Islamique notamment). « La violence est une profanation du nom de Dieu » « La violence n'est pas le remède » « Jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence » s'exclame le pape. Mais il n'ose pas (prudence de diplomate?) une réflexion plus poussée sur la légitime défense qui le mettrait en porte-à-faux avec une tradition de justification de la violence qui remonte à Saint Augustin. Elle susciterait bien des remous au sein de l’Église. Y a-t-il un évêque en Syrie qui oserait condamner la guerre, toute guerre ? Au mieux, il a peur : de perdre le salaire que le régime lui verse ? De représailles ? Jésus y invite pourtant, à porter la croix, et non le glaive. Il s'agit de répondre au mal par le bien, rappelle le pape.

La référence que fait le pape à la parole de Jésus qui invite à « tendre l'autre joue » met le point final à l'interprétation traditionnelle, celle d'une invitation au martyre dans le sens de « se laisser faire », de la passivité, par principe (moral ou religieux). Les exégètes conviennent aujourd'hui que cette parole invite à se redresser et réagir sur un autre plan, à produire une réaction qui désarçonne, qui interpelle la conscience, fondée sur une dynamique de relation authentique et non plus de peur ou de haine. En ce sens seulement il s'agit d'un paradigme de non-violence.

Le pape exprime l'idée que la non-violence est une question de conviction profonde :

« [C'est] l'attitude de celui qui est tellement convaincu de l'amour de Dieu et de sa puissance, qu'il n'a pas peur d'affronter le mal [...] ».

Reste à voir s'il en a tiré toutes les conséquences. Invitation à reposer la question de la foi qui sauve : croire que la violence est la solution, n'est-ce pas douter de la puissance de Dieu ? Croire qu'il y a une « autre solution » que de tuer pour sauver des vies, même si on ne la connait pas, c'est la seule attitude qui permettra d'un jour la trouver. Les témoignages qui en montrent la possibilité existent pourtant : Cet enseignant qui, désarmé, interpella le jeune allemand occupé à faire un carnage dans un lycée , la petite Burundaise qui sut « se défendre » contre un des pires pédophiles connus d'après-guerre, Fourniret , les exemples de légitime défense non-violente ne manquent pas. Qui disait que l’Église délaisse le politique ? Le pape cite des exemples politiques. Inviter à croire en la puissance du bien – Dieu -, n'est-ce pas délégitimer définitivement la violence, même en cas de légitime défense ? Et inviter à une lutte, dans le concret, mais d'un tout autre niveau !

Bruno Eliat

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1. Publié dans la Documentation Catholique.
2. Au n°2267.
3. N° 2263 à 2265.
4. Pour la notion de légitime défense non-violente, voir le livre de Michel Callewaert, Un amour subversif, Jésus, l’Église et la légitime défense, Fidélité/Cerf.
5. N° 2308.
6. CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE FRANCE, lettre pastorale, Gagner la paix, 1983.
7. Etienne Chomé a travaillé l'histoire de cette exégèse dans : Tends l'autre joue, ne rends pas coup sur coup, Lumen Vitae.
8. Relaté notamment sur Wikipedia dans : tuerie de Johann Gutenberg.
9. http://www.liberation.fr/france-archive/2008/04/01/marie-13-ans-plus-for...